« Quand le vent est au rire, quand le vent est au blé » (J. Brel)
Le paysage de l’avant-pays du Dunkerquois devient intéressant dès qu’on le considère à l’échelle singulière du delta de l’Aa dans lequel il s’inscrit. En effet, un regard sur l’histoire et la géologie nous montre que cette vaste plaine est, comme au débouché du Nil ou du Danube, un immense delta – le blootland – dont l’assèchement a été entamé au XII ème siècle à l’initiative des Comtes de Flandre. L’image du delta implique donc de penser les enjeux du territoire au-delà du SCoT Flandre-Dunkerque.
A la recherche du delta
Pour autant, le paysage exprime peu cette situation de delta. Mais il est possible de saisir la poétique du territoire en suivant, par exemple, les vers du Plat pays de Jacques Brel, qui mettent en lumière les caractéristiques suivantes :
- La mer, perceptible au-delà des cordons dunaires, est déconnectée du delta. L’ancien trait de côte des collines de l’Artois et de la plaine de Flandre constitue un paysage de transition avec notamment de nombreux points de vue sur le delta. Depuis le polder, ces reliefs dessinent l’horizon au Sud.
- La planéité du polder permet aux églises et moulins de devenir de véritables points de repère. S’ajoutent aujourd’hui les cheminées d’usines et les éoliennes. Les moindres émergences topographiques marquent la régularité du polder, comme les bourgs et villages développés sur des surélévations de 2 à 5 mètres.
- L’immensité générée par l’ouverture de l’espace cultivé induit une forte contrainte éolienne. Elle n’est plus absorbée aussi efficacement que par le passé, lorsque canaux et routes étaient bordés d’alignements d’arbres. De ce fait, les déplacements se font majoritairement en voiture d’un espace habité à un autre. La pratique du vélo est découragée par la prise au vent, alors que cette vitesse de déplacement est en accord avec le rythme lent du paysage de du delta.
- L’eau, peu visible in situ, est pourtant au coeur des enjeux du delta qui est structuré par un maillage hydraulique dense. L’évacuation de celle-ci est vitale face aux deux types d’inondations subis par le delta : la submersion marine et l’inondation continentale. Les infrastructures censées répondre à ces risques ne traduisent spatialement qu’une vision fonctionnelle. Des coteaux au polder, ainsi que du polder à la mer, l’espace est traité de la même manière. Le changement climatique tend à montrer les limites de ce modèle.
Vers une charte à l’échelle du delta
Il s’agit donc de valoriser l’ensemble du delta de l’Aa en tant qu’échelle juste du paysage, en un grand Parc du delta, à l’image de ce qui fut entrepris entre Lille et Lens pour le parc de la Deûle, afin d’engager une démarche de valorisation progressive du paysage sur la base d’une charte appliquée à l’échelle de tout le delta de Calais à Nieuwpoort. Pour tant, nous avons décidé de nous focaliser sur le coeur du delta, dans le triangle Calais-Dunkerque-Watten avec comme axe central le canal de l’Aa et Bourbourg comme ville-capitale du delta. En effet, notre stratégie d’action consiste à repérer les secteurs d’actions d’aménagement prioritaires dans le SCoT Flandre-Dunkerque, permettant d’amorcer l’action de requalification paysagère du delta, et une meilleure perception de celui-ci. Ces secteurs se justifient également au regard des enjeux de risque hydrauliques (inondation), d’intégration d’infrastructures ou encore de potentiel écologique : l’ancien trait de côte, et les portes du delta. Ils sont reliés entre eux par les canaux principaux constituant l’armature paysagère du parc du delta.
Digue-dong les coteaux
Les pieds des coteaux de Flandre intérieure représentent une source d’attractivité paysagère à l’échelle géomorphologique du Delta de l’Aa. Ils révèlent l’ancien trait de côte maritime. Mais le traitement des sols par l’agriculture intensive est identique entre plateau, coteaux et plaine canalisée. Les pieds des coteaux sont effacés du paysage : on ne les perçoit pas.
Par ailleurs, les pieds de coteau se trouvent entre deux entités géomorphologues majeures dans le territoire du SCoT Flandre-Dunkerque, L’Houtland et le Blootland. Au lieu de disparaître entre les sillons des champs, la frange des coteaux devrait assurer une transition de l’un à l’autre. Ainsi, ils valoriseraient les deux identités paysagères du SCoT. Les coteaux seraient une porte d’entrée dans le parc du Delt’Aa. Cette question ne concerne pas que le paysage, mais aussi les problèmes hydrauliques. les cultures céréalières, légumineuses et oléagineuses en pied de coteaux sont régulièrement inondées. Une étude démontre la corrélation entre eaux de ruissellement sur les pentes et les terrains qui les réceptionnent.
Une des réponses à ce problème est la conception de ZOEC (Zone Ornithologique d’Expansion de Crue). La commune de Bierne vient tout juste d’en inaugurer une de 23 hectares en partenariat avec le Conseil Général. Celle-ci fonctionne par débordement du Watergang qu’elle borde. La ZOEC, en point bas, tamponne les eaux des trois bassins versants alentour, qui jusqu’alors inondaient les terres sur une vingtaine de centimètres. L’ouvrage est entouré d’un talus d’une hauteur de deux mètres soixante. Il n’a pas de vocation hydraulique et sert à séparer la future faune des nuisances humaines.
« Avec le fil des jours pour unique voyage »
Et si les vers que Jacques Brel chante en 1962 étaient matière à projet ? Il faut dérouler le fil. Une digue placée en pied de coteau permettrait de créer deux systèmes hydriques différents. Entre le polder et la digue : l’agriculture est maintenue et protégée des inondations. De l’autre côté, entre la digue et les pieds de coteau l’eau ruissellerait et façonnerait des paysages pour accompagner le voyage.
Tantôt la pente existante est abrupte. Les eaux se serrent entre la digue et les pieds de coteaux. Elles dessineraient une noue étroite densément végélatisée. Tantôt, la pente du coteau est faible. Elle remonterait doucement sur un plus long linéaire. Alors, l’emprise au sol de la zone immergée est plus large. Ce va-et-vient tout le long de la digue jouerait le rôle d’une respiration. Il rythmerait le parcours des coteaux.
Un horizon
La digue dessinerait un horizon artificiel strict. La hauteur du talus ne variait pas. Elle resterait à une constante d’environ 2 mètres de hauteur de façon à toujours laisser passer le regard au-dessus, jusqu’à la crête des coteaux. Sur l’ensemble du linéaire, la skyline des coteaux se détache. Elle deviendrait lisible dans le paysage. L’ancien trait de côte serait alors souligné.
De Watten à Bergues
« Digue » appartient habituellement au vocabulaire maritime. C’est un élément dont l’avant-pays doit s’emparer. Les coteaux de l’Yser commencent à Watten et s’en vont vers la Belgique. Sur le trajet il y a Bergue. C’est une porte d’entrée dans Dukerque. La digue met en tension ces villes. Elle est carrossable et devient une circulation douce allant du goulet de Watten jusqu’à la Flandre littorale au nord du territoire du SCoT. Cette piste mixte cycliste et piétonne s’apparente à un très long belvédère. Dans le Plat Pays, deux mètres suffisent à déployer le regard sur l’ensemble de la plaine canalisée.
Déclinaison logique
Là où passe la digue, des espaces se créent. Outre la multiplicité des situations paysagères entre ballade haute et ballade basse, la digue est polyvalente. Elle permet différents usages. Élevages, pâture, ZOEC, noue, flore de type natura 2000, maraîchage de printemps ou d’été sont autant d’exemples imaginables. Le principe étant de conserver au maximum les espaces agricoles en place et d’exploiter au minimum une bande de 5 à 7 mètres sur chaque parcelle cultivée.
Équipe : Théo Balanger (P.), Delphin Colin (P.), Mathilde Garro (P.)
P.: Paysagistes DPLG
L’atelier public de paysage est un dispositif pédagogique qui permet à une collectivité territoriale, par le biais d’une commande qu’elle adresse à l’École Nationale Supérieur d’Architecture et de Paysage de Lille, de confronter une promotion d’étudiant paysagiste en fin de cursus à un questionnement lié à l’aménagement, à la gestion, ou à la planification de son paysage. Les questions posées ont toujours un caractère «exploratoire», c’est-à-dire qu’elles envisagent le développement du territoire à plus ou moins long terme, de manière prospective. C’est en effet à cette échelle de temps et d’ouverture programmatique que la fraîcheur d’esprit des jeunes paysagistes se révèle la plus profitable à la réflexion. Bientôt professionnels, mais bénéficiant encore d’une forme de naïveté vis-à-vis des cadres de l’action opérationnelle, les étudiants peuvent, en toute liberté, mais en relation serrée avec un comité de pilotage chargé de les ramener aux dures réalités, explorer des potentialités de développement que les acteurs du territoire, trop conscients à l’inverse des multiples contraintes qui pèsent sur les projets, ne peuvent s’autoriser à imaginer. Mais quel grand projet d’un pas né d’une telle prospective ?
La question posée émane de l’Agence d’Urbanisme de la région Flandre-Dunkerque. Préparant la révision du Schéma de Cohérence Territoriale, l’AGUR a identifié un axe d’action autour de l’accroissement de l’attractivité paysagère du territoire de Flandres-Dunkerque. Comment accroître cette attractivité, à un moment où le littoral tend à se vider de sa population, et où « l’arrière-pays » enregistre, quoique de façon inégale, une croissance rapide ?
L’attractivité est ici envisagée à trois niveaux : résidentiel (comment donner l’envie d’habiter sur ce territoire ?), économique (comment donner envie d’investir dans ce territoire ?), et touristique (comment favoriser le développement touristique du territoire ?). L’hypothèse qui sous-tend le travail, c’est que l’amélioration des paysages est un levier d’action possible pour répondre à ce désir d’attractivité. Si les habitants du littoral quittent l’agglomération pour s’installer à la campagne, c’est d’abord, sans doute, parce qu’ils peinent à trouver près de chez eux l’offre de logement qui leur convient. Mais c’est aussi parce que la campagne répond à certaines de leurs attentes, notamment en termes de qualité du cadre de vie quotidien. Ici, la dimension paysagère doit donc être envisagée de trois manières :
- Comment maintenir les populations urbaines en ville par l’amélioration des espaces publics et du cadre de vie en ville ?
- Comment faire en sorte que les lotissements et les zones d’activités économiques qui sont construits à la campagne pour répondre au désir de paysage ne se traduisent pas par un affaiblissement d’une qualité paysagère d’ailleurs en général peu identifiée.
- Comment tirer parti de la dynamique d’expansion des villages pour installer dans ce territoire un nouveau type de cadre de vie, sans doute bien différent de celui que nous associons généralement au paysage villageois, mais pourtant doté d’un potentiel réel du point de vue des espaces publics qui s’y créent peu à peu?
Commentaire Denis Delbarere, paysagiste, chercheur et enseignant