Le jour se lève
Le XXIe siècle est né avec la chute d’un mur en Allemagne. Ce coup d’envoi était également le symbole d’un horizon qui se dégageait. Presque trente années plus tard, l’horizon nous semble bien incertain. Alors que tout a commencé dans l’enthousiasme d’une libération, la chute des murs new-yorkais mettait un coup d’arrêt à l’optimisme. Aujourd’hui, tout semble confus, se transforme, change, rien ne semble acquis. Les hommes cherchent soit à se replier derrière des frontières consolidées, soit à échapper à celles entre lesquelles on les oppresse. Les premiers construisent des murs de plus en plus hauts et épais quand les seconds meurent à tenter de les franchir. Parce que l’avenir est incertain, on se ferme à ce qui pourrait advenir.
Dans le même temps, les frontières de notre monde à la fois se crispent et se brouillent. Les mouvements des populations n’ont jamais été aussi importants, tandis que le commerce mondialisé accroît considérablement le déplacement des biens et que l’évolution du climat accélère la migration des espèces et essences végétales.
Cet avenir inquiète.
C’est l’inconnu.
« Inconnu » est excessif. En réalité, nous l’entrevoyons un peu. Il ressemble à notre présent avec des exagérations ou des privations. Il a quelque chose de familier. Nous nous basons sur des faits connus pour anticiper ce qui sera demain notre réalité la plus probable. Pour la plupart tout ceci reste flou. L’expérience de chacun est moins d’avancer face à une opacité impénétrable que de s’enfoncer dans l’avenir comme dans un voile de brume se dissipant peu à peu. Le XXIe siècle nous devient présent comme ce qui est confus devient net à mesure que nous nous en approchons.
À l’instar du paysage, le flou est une invention picturale. C’est un outil de représentation, une manière de montrer quelque chose. C’est lui qui, associé à la perspective aérienne, donne le sentiment de la profondeur. Sa connotation négative ne lui est venue qu’avec la photographie et une certaine volonté trompeuse d’exactitude et des fantasmes de clairvoyance.
La brume et avec elle le flou servent souvent à représenter des atmosphères oniriques faites de désir et empruntes d’une sorte de folle insouciance. Il y a là une poétique de la rêverie. La brume est le milieu des rencontres inattendues et merveilleuses. C’est le moment d’un frisson léger où l’on ne sait pas vraiment vers où l’on se dirige, où l’on craint certes de faire une mauvaise rencontre, mais où l’on peut aussi s’abandonner à la découverte et évoluer dans un monde hors du quotidien. Avancer dans ce milieu flou, c’est quitter le cours du temps et se projeter dans une durée suspendue.
Notre proposition veut rendre compte de cette situation en offrant au visiteur une expérience sensible de ce moment d’incertitude sereine. Nous voulons croire à un XXIe siècle optimiste malgré les peurs du temps présent et nous pensons que le mouvement, la migration est tout autant une spécificité de ce siècle que sa chance. Nous invitons le public à avancer dans ce flou.
Le visiteur se tient au début de la parcelle devant une masse composée de fins tubes de pvc translucides suspendus à 2,5 mètres du sol. Ce filtre crée une épaisseur floue. De la masse blanchâtre du filtre avancent des massifs floraux comme des langues depuis le fond, qu’on ne distingue pas, vers l’entrée. Les plantes hautes qui montent des massifs rencontrent ces fils suspendus. La lisière entre ces deux strates varie en épaisseur. Situées à hauteur du regard, des fleurs rouges y dessinent l’horizon. Les allées serpentent entre ces massifs qui disparaissent parmi les fils suspendus. En y pénétrant, le visiteur entre dans une atmosphère à part, un milieu, inspiré des installations de l’artiste chilien Jesus Rafael Soto. Les points rouges qui dessinaient une bande irrégulière nous entourent à présent. Le visiteur est caressé par ces éléments suspendus et ne voit pas très bien vers où il se dirige, mais du sol, les massifs offrent des surprises qui apparaissent peu à peu ou se découvrent soudainement. À mesure que l’on s’enfonce dans ce milieu, le filtre perd en épaisseur et le fond de la parcelle devient plus visible. Composé de massifs où l’horizon est alors dessiné plus nettement et de manière plus intense, nous entrevoyons un lointain assez désirable et similaire au paysage depuis lequel nous sommes venus. Nous ne pouvons pas y accéder. Le voyage nous amenait jusque là, dans cette frontière , au seuil d’un au-delà que nous entrevoyons sans pouvoir vraiment l’atteindre. Cette situation correspond à l’expérience ordinaire que nous faisons du temps, mais elle est également caractéristique des tensions géographiques et humaines propres à notre siècle. Nous pouvons alors revenir du jardin vers notre présent, riches de cette expérience.
Équipe : Théo Balager (P.), Emmanuel Breton (A.), Delphin Colin (P.), Mathilde Garro (P.), David Vandamme (P.)
A.: Architecte D.E
P.: Paysagistes DPLG